Master 2 Gestion des Territoires et Développement Local
Parcours: Développement Rural
Rencontre avec Théodosia Anthropoulou à l’Université d’Athènes, le 8 février 2017
Nous arrivons à l’université d’Athènes en début d’après-midi et commençons par rencontrer la directrice qui nous accueille chaleureusement dans son bureau pour nous témoigner de l’intérêt qu’elle porte aux échanges universitaires franco-grecs.
Nous nous rendons ensuite avec Theodosia Anthropoulou, professeure de géographie sociale et rurale au sein du département de politique sociale, dans les locaux du laboratoire de recherche auquel elle est rattachée. Elle nous fait part des difficultés qu’ont rencontré les enseignants-chercheurs grecs confrontés, comme tous les autres citoyens, à la crise : les crédits de recherche ont chuté tandis que les volumes horaires des équipes ont augmentés, malgré des salaires toujours plus faibles.
Théodosia nous propose une brève introduction à la géographie rurale et agricole en Grèce, afin que nous puissions comprendre le contexte et les conditions de production agricole avant de nous parler des initiatives sociales et solidaires que sont les marchés sans intermédiaires organisés en réaction aux difficultés engendrées par la crise.
Elle explique que l’agriculture grecque est le fait de petites structures (entre 4 et 5 hectares en moyenne) cependant très performante d’un point de vue productiviste et facteurs de résilience pour les ménages grecques en raison de leurs caractéristiques plurielles et multifonctionnelles. Au sein de ce paysage agricole, la crise a révélé de nombreuses problématiques liées à l’organisation majoritairement productiviste de l’agriculture grecque et permis la prise de conscience des incohérences créées et accumulées par la Politique Agricole Commune européenne notamment. Effectivement, c’est dans les années 2008-9 que la Grèce prend conscience de l’incohérence des importations massives en légumes et en huile alors que le pays en produit beaucoup mais aussi du côté dommageable de la destruction de nombreuses cultures locales (lentilles) au profit de monocultures (coton) cultivées intensément. C’est donc le constat d’un pays très fragile aux fluctuations des prix et aux politiques extérieures.
Autrement dit, pour Théodosia, « la crise récente (celle de 2009) a trouvé les agriculteurs et les acteurs locaux dans une crise qui existait déjà : la crise du productivisme ».
C’est dans ce contexte que sont nés des initiatives alternatives de production, de commercialisation et de consommation de l’alimentation notamment. La crise a effectivement permis, surtout aux familles modestes, une reconsidération de leurs habitudes alimentaires et de consommation qui a conduit à une rationalisation de la consommation, à une réduction du gaspillage et au développement d’une consommation assez patriotique (privilège des produits grecs lors des achats qui apparaît comme un soutien à l’agriculture familiale locale). Le phénomène des marchés sans intermédiaires se développe ainsi à partir de 2012 en lien avec le mouvement des pommes de terre. Il s’agit d’un mouvement spontané apparu en Grèce du Nord à un moment où la Grèce importe massivement des pommes de terre venues d’Egypte sans pouvoir écouler les productions locales. Un collectif se met donc en place pour valoriser les productions locales et se développent avec succès. Progressivement, le phénomène essaime partout en Grèce où des initiatives autogérées voient le jour.
Ces initiatives permettent une mise en lien directe entre producteurs et consommateurs. Elles reposent sur le principe des pré-commandes dont la logistique est assurée par une équipe de bénévoles. Ces marchés concernent majoritairement des produits secs et ne font ainsi pas réellement concurrence aux marchés conventionnels et mixtes. Les marchés sans intermédiaires correspondent aussi à un projet social en permettant de retisser des liens forts au sein de certains quartiers mais aussi en permettant aux foyers plus modestes de se nourrir dignement. Effectivement, les producteurs engagés dans les marchés sans intermédiaires s’engagent à faire don au collectif organisateur de 2 à 4% de leur production afin que ces surplus puissent être redistribués gratuitement aux foyers dans le besoin.
Ainsi, au sein de l’aire métropolitaine d’Athènes, Théodosia Anthropoulou dénombre une trentaine d’initiatives de ce type qui permettent de répondre à une contradiction accentuée par la crise : l’alimentation continue à coûter cher (notamment en raison de l’impossible dévaluation de la monnaie, l’euro) alors que sa qualité est toujours plus médiocre. Les marchés sans intermédiaires permettent ainsi aux consommateurs de satisfaire leur besoin croissant d’information quant à la qualité et à l’origine des produits achetés et de répondre à leur volonté de relocalisation de l’agriculture et de valorisation de la consommation et de production en voie de disparition. Parallèlement, pour les producteurs, les marchés sans intermédiaires permettent l’écoulement des productions tout en ayant la garantie d’un prix d’achat équitable. Leurs multiplications sont multiples : échapper aux grossistes, rentrée d’argent directe et en liquide, dignité et fierté, lien direct avec les consommateurs, satisfaction morale, participation à une entreprise co-construite.
Théodosia Anthropoulou explique que l’Etat s’est absolument désengagé de ces initiatives sociales et solidaires qui émergent des citoyens et non de directives officielles. Alors que ces marchés témoignent d’un impact direct sur le fonctionnement des exploitations (augmentation des activités et donc des emplois) et donc d’un rôle économique indéniable, ils ne bénéficient d’aucune législation spécifique. Même si les collectifs auto-gérés revendiquent leur caractère activiste, revendicatif et impropre à l’institutionnalisation, ils souffrent tout de même de devoir être systématiquement soumis à l’autorisation des maires pour pouvoir se dérouler. En tant que commerce non taxé se déroulant sur place publique, les maires ont d’ailleurs toute autorité pour refuser la tenue d’un marché et pour distribuer des amendes aux producteurs en cas de non-respect de l’interdiction.
Pour aller plus loin…
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Giogio SCHIFANI, Giuseppa MIGLIORE, “Solidarity Purchase Groups and the new critical and ethical consumer trends: first results of a direct study in Sicily” in New Medit, n°3, 2011.
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Theodosia ANTHROPOULOU, “L’émergence des “marchés sans intermédiaires” en Grèce. Résilience des systèmes alimentaires dans une économie solidaire en période de crise »